Le Grand Nord évoque des paysages glacés, infinis, aux étés éblouissants et aux hivers sombres, mais illuminés, certaines nuits, par les draperies vertes des aurores boréales. Les espaces du Grand Nord se situent aux alentours du cercle polaire arctique (parallèle 66° de latitude nord). Huit pays appartiennent à cette identité géographique: Canada, Danemark (Groenland), États-Unis (Alaska), Finlande, Norvège, Suède, Russie, Islande.
De nombreux peuples, les «premières nations» comme on les appelle au Québec, vivent de longue date sur ces terres inhospitalières. Ils y ont développé une culture originale, riche de mythes, de contes et de légendes ainsi que des musiques inspirées par la solitude des êtres humains dans le silence des grands espaces.
Il en va ainsi des chants de gorge et danses du tambour des cultures inuit et tchouktche (Russie). Une tradition, surtout pratiquée par les femmes, qui se transmet de mère en fille. Ces sons gutturaux et ces respirations haletantes évoquent chez les Inuits la vie sur la banquise: le chiot apeuré devant l’igloo, le cri d’appel d’une bernache du Canada. Les peuples autochtones du Nord sculptent aussi de grands totems de bois en Alaska, des ours, des phoques, des oiseaux dans l’os ou la pierre au Canada. Ils vivent de la pêche, de la chasse et, souvent, de l’élevage du renne.
Ces modes de vie traditionnels sont bousculés, dès le milieu du 20e siècle, par l’irruption de la modernité. S’ouvre alors une ère nouvelle avec l’exploitation des matières premières (charbon, pétrole), la sédentarisation souvent forcée (Inuits du Québec) et les essais nucléaires soviétiques dans l’archipel de la Nouvelle Zemble au large de la Sibérie.
Les dérèglements climatiques accélèrent le changement. La banquise commence à fondre. Ce phénomène compromet l’équilibre biologique de cet écosystème et rend toujours plus difficile la vie des populations ainsi que des ours et des morses. Il ouvre aussi de nouvelles perspectives d’exploitation des richesses du sous-sol polaire et de navigation sur de nouvelles voies (passages du Nord-Est et du Nord-Ouest). Ces changements ne manquent pas d’attiser les convoitises et de créer de nouvelles tensions entre les États. Enfin, avant la disparition des glaces, les touristes se pressent sur les bateaux de croisière afin d’admirer la beauté, à couper le souffle, des espaces arctiques.
Quoi de plus actuel en ce Printemps culturel neuchâtelois qu’une prise de température du climat dans l’hémisphère nord de notre globe?
En mettant le cap sur les identités boréales, c’est bien au cœur des enjeux humains et climatiques essentiels à toute la planète que le Printemps culturel nous convie.
Face à la croissance des inégalités sociales et régionales, face à l’affaiblissement des solidarités entre les gens, les peuples et les sociétés, le recours à une boussole pour retrouver le sens de la justice sociale et celui d’un climat hospitalier pour la dignité humaine est urgent.
C’est bien le nord, avec son fascinant magnétisme, qui fait pivoter l’aiguille de la boussole pour nous orienter. Les mobilisations de la société civile, des jeunes en particulier, pour l’urgence climatique et la solidarité humaine voient ainsi loin et dans la bonne direction.
L’esprit, la créativité et l’engagement exemplaire qui prévalent parmi les acteurs culturels et artistiques autour de l’Association du Printemps culturel donnent véritablement espoir et sens au devenir de notre communauté humaine. La Ville de Neuchâtel se félicite de cette belle initiative qu’elle soutient avec conviction.
Cette année, le Printemps culturel semble refuser le cycle des saisons en maintenant le cap sur les paysages enneigés du Grand Nord, sous «ce toit infini du ciel et cet immense désert de glace […] promesses de liberté» pour Ninioq qui m’a accompagné cet hiver dans Le Jour avant le lendemain. Une plongée dans un monde fascinant, étrange, poétique qui nous renvoie à nos habitudes, à nos modes de vie et nous fait douter quant à nos universaux sur la vie, la mort, l’amour ou la possession.
Un voyage dans une communauté imprégnée par un environnement extrême, aussi hostile que fragile, rendant le lien, la cohésion sociale, essentiels. Une histoire qui nous rapproche peut-être de celle de nos ancêtres vivant dans nos rudes Montagnes, développant une culture singulière pour tromper l’ennui et l’isolement dans l’attente de ce printemps… qui tarde parfois à venir!
Dans nos Montagnes — à l’image du Grand Nord? — l’isolement a ainsi conduit à une culture propre et peut-être aussi, paradoxalement ou non, à une ouverture particulière à l’autre, aux idées nouvelles. Des fondamentaux à l’origine du développement et de la prospérité de notre ville. Des fondamentaux que réveillent aussi les diverses rencontres du Printemps culturel, plus que jamais nécessaires, à l’heure où les liens tendent à se déliter.
«Le paysage morne, infiniment désolé, qui s’étendait jusqu’à l’horizon était au-delà de la tristesse humaine. Mais du fond de son effrayante solitude montait un grand rire silencieux, plus terrifiant que le désespoir — le rire tragique du Sphinx, le rictus glacial de l’hiver, la joie mauvaise, féroce d’une puissance sans limites. Là, l’éternité, dans son immense et insaisissable sagesse, se moquait de la vie et de ses vains efforts. Là s’étendait le Wild, le Wild sauvage, gelé jusqu’aux entrailles, des terres du Grand Nord»
Un court extrait de Croc-Blanc de Jack London pour nous faire sentir la puissance du Grand Nord, mais ce texte invite aussi le Sphinx dans le paysage: répondre à une question ou disparaître.
La 3e édition du Printemps culturel se propose, au travers d’un programme aux facettes multiples, de nous faire rêver, de nous interpeller aussi.
Gageons que nous saurons ensemble répondre aux questions que le Grand Nord nous adresse.
Un mot enfin pour saluer la qualité de l’engagement de toute l’équipe du Printemps culturel et vous inviter toutes et tous à participer à ce précieux évènement que soutient la commune de Val-de-Travers.